Le Trochiscanthe nodiflore [TN] n°189 - Mardi 20 octobre 2009

"Lettre hebdomadaire" du site "Rencontres Sauvages"
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Pourquoi cette pluie ? - IDIR

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Images de l'exposition qui se trouve en ce moment à Embrun (Hautes-Alpes),
au Cyberspace Omnis (30 rue de la Liberté).

Pour voir le livret virtuel rassemblant les images de cette exposition,
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de temps à télécharger. Il y a de la musique : allumez vos hauts-parleurs !.
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Arantèles (encore !)
Lac de Saint Point et Tourbières de Frasne (Haut-Doubs)
Samedi 26 et dimanche 27 septembre 2009

<image recadrée>

<image recadrée>

Pour voir la série d'Arantèles de 2008,

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, celles de 2007, cliquez [ici]

et enfin, celles de 2006 (avec l'explication du mot Arantèle...), [ici]



Petit texte :

"Enfin, il se releva et s'appuya sur les coudes. Il voulut persuader Michèle :
« Tu as l'impression d'attendre quelque chose, hein ? Quelque chose de déplaisant ou de plutôt déplaisant que dangereux ? - C'est ça ? Tu as l'impression d'attendre quelque chose de déplaisant. Eh bien. Ecoute. Je vais te dire. Moi aussi. Moi aussi, j'ai l'impression d'attendre. Mais comprends-moi bien : moi, je n'en ferai pas de cas, de cette impression d'attente, si je n'étais pas certain qu'il va m'arriver – qu'il doit m'arriver, fatalement, un jour ou l'autre, ce quelque chose de déplaisant. Ce qui fait que maintenant, en fin de compte, je n'attends plus rien de déplaisant, mais quelque chose de dangereux. Tu comprends ? C'est uniquement un façon d'avoir les pieds sur terre. Si tu m'avais dit ce que tu ne m'as pas dit, par exemple, que tu as l'impression d'attendre quelque chose, et que tu sais, tu comprends, tu sais que ce doit être la mort, alors, là, O.K. Je te comprends. Parce qu'on finit toujours par avoir raison, un jour, d'attendre la mort. Mais tu comprends, n'est-ce pas, ce n'est pas l'impression désagréable que tu as qui compte, mais le fait qu'il ne se passe pas un moment sans qu'on attende, consciemment ou non, sa mort. C'est cela. Ça veut dire, tu sais quoi ? Que dans un certain système de vie, qu'on met en application par le seul fait d'exister, tu laisses une part négative – qui ferme ne quelque sorte parfaitement l'unité humaine. Ça me fait penser à Parménide. Tu sais la phrase où il dit, je crois, « Comment ce qui est pourrait-il bien devoir être ? Comment pourrait-il être né ? Car s'il est né, il n'est pas, et il n'est pas non plus s'il doit un jour venir à être. Ainsi la genèse est éteinte et hors d'enquête le périssement. » C'est ça qu'il faut dire. Il faut s'en douter. Sinon, Michèle, pas la peine de pouvoir penser. Ça ne sert à rien, Michèle, hein, à rien du tout de parler. »
Il pense tout d'un coup, sans raison, qu'il avait blessé Michèle, et il le regretta, d'une certaine façon.
« Tu sais, Michèle », dit-il pour se racheter, « tu pourrais avoir raison. Tu pourrais me répondre, pourquoi pas, que tout implique tout – finalement, ce serait peut-être ce qu'il y a de plus paménidien... »
Ce fut à son tour de pencher son visage de côté, et d'observer, de ses deux yeux tout de même moins voyeurs, le profil de la jeune fille ; il en retira la satisfaction d'avoir une jonction soudain possible, une cheville réelle entre les deux morceaux de son discours.
«C'est-à-dire que, dans le système du raisonnement dialectique – rhétorique me paraît plus exact de ce point de vue -, oui, dans ce système de raisonnement qui ne s'occupe pas des expériences, il suffit que tu me dises, « Quelle heure est-il ? » pour que je traduise : Quelle, interrogation de spécificité, participe d'une fausse conception de l'univers, où tout est catalogué, classé, et où on peut choisir comme dans un tiroir de qualification convenant à un objet. Heure, le temps, notion abstraite, est divisible en minutes et en secondes, qui ajoutées un nombre infini de fois produisent une autre notion abstraite appelée éternité. Autrement dit, le temps comprend à la fois le fini et l'infini, le mesurable et l'incommensurable ; contradiction, donc nullité du point de vue logique.
Est ? L'existence ; encore un mot, un anthropomorphisme par rapport à l'abstrait, dans la mesure où l'existence est la somme des sensations synesthésiques d'un homme. Il ? Même chose. Il, n'est pas. Il, est la généralisation du concept mâle à une notion abstraite, le temps, et qui sert par-dessus le marché à une forme grammaticale aberrante, l'impersonnel, ce qui rejoint le truc de l'Est. Attends. Et toute la phrase a rapport à une histoire de temps. Voilà. Quelle heure est-il ? Quelle heure est-il ? Si tu savais comme elle me torture cette petite phrase ! Ou plutôt non. C'est moi qui en souffre. Je suis écrasé sous le poids de ma conscience.
J'en meurs, c'est un fait, Michèle. Ça me tue. Mais heureusement on ne vit pas logiquement. La vie n'est pas logique, c'est peut-être comme une sorte d'irrégularité de la conscience. Une maladie de la cellule. En tout cas, peu importe, ce n'est pas une raison. D'accord, il faut bien parler, il faut bien vivre. Michèle, pourtant, autant ne dire que les choses strictement utiles, hein ? Les autres, il vaut mieux les garder pour soi en attendant qu'on les oublie, en attendant qu'on vive plus que pour son propre corps, remuant rarement les jambes, ramassé dans un coin, plus ou moins bossu, plus ou moins sujet aux envies folles de l'espèce. »
Michèle continua à se taire, non pas vexée, mais attentive de tout son être à l'inconfort qu'avaient tramé, depuis des heures bientôt, les gestes dont on se souvient à peine les a-t-on produits, les mots qui ne se relient pas les uns aux autres, et tous les bruits rares ou microacoustiques de la maison et du dehors ; elle découvrait peut-être, qui sait ? Qu'il y a au fond de l'oreille une sorte d'amplificateur dont il faut rêgler la tonalité sans cesse, et s'interdire de dépasser une certaine puissance, sous peine de ne jamais plus pouvoir comprendre.
« Quelle heure est-il ? » dit Michèle en bâillant.
« Après tout ce que je t'ai dit, tu persistes ? » dit Adam.
« Oui, quelle heure est-il ? »..."

Le Procès Verbal - JMG Le Clézio



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