Petits textes :
"L'IRIS
Avant d'investir ses forces dans les fêtes
flamboyantes de la floraison, l'iris n'expose au
regards qu'un discret éventail de feuilles en lames
de sabre, engainées les unes dans les autres,
pointant directement du sol sans nulle trace de
tige.
Au printemps, cette politique minimaliste n'est plus
de mise. En quelques semaines, un hampe florale
haute de près d'un mètre jaillit du coeur des
feuilles, égrenant une dizaine de boutons floraux.
Chacun d'eux, long et pointu comme une fusée, émerge
d'un emballage de papiers de soie translucides
enroulés en cornets. Ces bractées membraneuses
protègent les jeunes boutons au début de leur
développement.
Dans l'espace limité du bouton, les pièces florales
sont agencées selon les règles de l'encombrement
minimum. Les trois sépales sont lovés les uns autour
des autres en une sorte de tourbillon figé,
enserrant les trois pétales repliés en accordéon.
Puis les sépales se recourbent vers le bas tandis
que les pétales s'arcboutent les uns aux autres,
couvrant la fleur d'une sorte de baldaquin bleu
céleste. Toutes les pièces florales, y compris les
stigmates (on désigne ainsi la partie supérieure du
pistil), ne sont que voiles et ailes azurées,
rehaussées d'une délicate nervation. L'ensemble
forme un palais de rêve percé de trois vestibules.
Quels visiteurs ont leurs entrées dans cette demeure
princière ? Les bourdons, qui se précipitent sur les
brosses de poils à nectar jaune d'or garnissant les
sépales. En remontant le chemin odorant, ils
pénètrent sous la lame des stigmates. Leur
corpulence est idéale pour que leur dos hirsute
effleure les étamines et se charge de pollen au
passage.
Son rôle achevé, le palais s'effondre. Au sommet du
fruit qui enfle chaque jour ne reste bientôt plus
qu'un panache brun racorni, seul souvenir des temps
de splendeur."
La Métamorphose des fleurs – Claude
NURIDSANY et Marie PERENNOU
"Le SALSIFIS
L'inflorescence du salsifis est une
architecture démontable. Au point du jour, ses
longues bractées ver pâle basculent pour dévoiler
l'or de ses corolles. Quand le soleil est au zénith,
ces volets protecteurs se replient et s'accolent
étroitement, ne laissant plus paraître qu'un étroit
cône anonyme.
Le salsifis n'est pas la seule plante à pratiquer
l'art de l'escamotage. L'ornithogale doit son nom de
« Dame d'onze heures » à la pontualité de
son ouverture journalière. La belle de nuit
n'épanouit sa corolle en trompette que passé
dix-sept heures.
Le grand naturaliste suédois Carl von Linné – il
conçut au XVIIIè siècle une méthode de
classification des plantes encore utilisée
aujourd'hui – nota que chaque heure du jour et de la
nuit est saluée par l'épanouissement d'une fleur
différente. Il imagina ainsi une « Horloge de
Flore » accordée au rythme des fleurs.
L'horloge de Linné, établie en Suède, retarde
d'environ une heure sur l'« heure
florale » de Paris. Le climat plus froid du
Nord est responsable de ce décalage.
Installer et replier quotidiennement tout l'édifice
floral peut apparaître comme une inutile
complication. Pourtant les plantes à corolles
amovibles tirent bénéfice de ce procédé. Les
insectes butineurs s'habituent à ces ouvertures à
heure fixe. Les abeilles, qui évaluent très
précisément le temps d'après la course du soleil,
organisent les visites de leur journée selon un
carnet de rendez-vous floraux. Pendant les quelques
heures où le salsifis affiche ouvert, ce sont des
foules de fidèles dressés à l'exactitude qui se
pressent autour de ses corolles."
Eloge de l'Herbe – Claude NURIDSANY
et Marie PERENNOU
PS : pour différencier le Tragopogon
pratensis ssp. orientalis du T.p. ssp.
pratensis : le premier ne s'ouvre que le matin
tandis que le second s'ouvre jusqu'au début de
l'après-midi !! (cf. Flora
helvética)