Mardi 24 février 2009
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Attitudes d'un
Rougegorge familier


Jeudi 12 février 2009
Astugue (Hautes-Pyrénées)

 


Petit texte :

"L'aube était proche, la lune depuis longtemps couchée, quand le Rouge poussa son dernier brame. La Futaie monta dans le fenil, colla ses yeux au trèfle de la lucarne. Devant lui, entre de petits arbres espacés, il voyait un épaulement de terre, d'un bleu de cendre. Au-dessus tout le ciel était pâle, à peine rayé par deux petits nuages longs, pâles comme le ciel. Le temps passait ; le plus haut des deux nuages rosit, puis le second. De la lucarne, on ne pouvait pas voir l'orient ; mais les nuages devenaient plus roses, et le ciel bleuissait entre eux.
Le coeur de l'homme battait si fort que son bruit lourd, à ses oreilles, était comme un autre présence. Il mit sa main sur sa poitrine pour le contenir, pour le faire taire. Il regardait les cailloux sur la friche, un fuseau de genévrier, une ligne de broussailles qui cachait sans doute un fossé. Il regardait avec tant d'acuité qu'il lui semblait arracher hors de l'ombre ces petits chênes, ces feuilles de ronces que ses yeux allaient toucher. Soudain les nuages s'éclairèrent, barrèrent le ciel d'un double trait de flamme. Et juste à ce moment, entre deux des petits chênes, l'homme vit le Rouge qui prenait le vent.
Alors il leva ses jumelles, saisit la bête dans leur champ lumineux. Le grand cerf était immobile. A l'orée déserte du bois, dans le silence et la pureté de l'aube, il battait lentement des paupières, haussait le mufle pour mieux toucher le glissement frais de l'air matinal. L'homme pouvait voir se dilater les ailes sombres de ses naseaux. Et peu à peu, sans qu'il en eût conscience, ses propres lèvres se mirent à battre, murmurèrent de confuses paroles :
Te voilà. C'est vraiment toi, le Rouge. Plus beau encore... Ah ! Ne bouge pas.
Il déplaçait lentement ses jumelles, le parcourait de ses regards comme d'une caresse interminable : les jambes fines, si longues, si nerveuses, la hampe profonde que la naissante lumière mordore, le cou large et velu qui pâlit un peu vers la gorge, et surtout ce visage de bête, ces grands yeux pleins de songe où il a pu voir autrefois, de tout près, se refléter les branches des arbres et les nuages qui passaient dans le ciel. Il murmurait :
Le plus beau de tous. Je le savais. Le roi de la forêt.
Et puis les mots de son métier, qui renaissaient de son enchantement même, montaient ainsi que des offrandes vers la bête splendide et libre :
Cette perlure blanche, blanche comme des bourgeons d'aubépine... Ces meules dures comme le rocher...
Et il parlait aussi de grandes branches, de ramures ouvert dans le ciel, déployée comme le couronnement d'un bel arbre. Ces mots qui lui venaient aux lèvres, il ne les entendait même pas. Ce n'était qu'un murmure à travers les battements de son coeur. Il n'était que contemplation extasiée.
Quand le cerf recula sous les chênes, sortit du champ de ses jumelles, ce fut en lui le sursaut égaré d'un réveil. Il eut une seconde d'affolement, mais aussitôt se ressaisit, chercha et retrouva des yeux la silhouette rouge qui marchait sous les chênes. Dès cet instant il se sentit lucide et fort, maître de son coeur, de ses nerfs : et il ne fut plus qu'à l'action.
Le Rouge marchait vers le fossé bordier. Il n'était pas à deux cents mètres. L'homme remit ses jumelles dans leur étui de cuir, appuya son front sur la porte. Son champ visuel était assez vaste pour embrasser tout à la fois le fossé que suivait le Rouge, le vieux chemin, une large bande du taillis où l'animal allait sans doute rentrer. Il le vit franchir le fossé, sans sauter, s'arrêter sur le bord du chemin pour épier et reprendre le vent. Il y avait encore cent cinquante mètres jusqu'à la touffe du prunellier qui masquait les jambes du grand cerf ; mais son encolure et sa tête se montraient à découvert, et il lui paraissait si près qu'au moment où il tourna les yeux du côté de la maison, il se crut vu et s'écarta de la lucarne. Aussitôt le Rouge diminua. Il l'apercevait toujours dans l'ouverture en forme de trèfle qui entaillait la porte pleine, mais prodigieusement lointain, au coeur d'un nimbe de soleil qui trouait l'ombre du fenil comme une étrange fleur dorée. Il rapprocha son front, l'appuya de nouveau contre les planches vermoulues et il revit la bête grandir, lever à découvert son encolure et sa ramure derrière la touffe de prunellier..."

Maurice GENEVOIX - La Dernière Harde.


Canon de Pachelbel en Ré Majeur

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