Petit texte :
"Le jardin était plein d'oiseaux. Quelques-uns
s'envolèrent à notre approche, mais la plupart
restèrent, qui à picorer les allées, qui à sautiller
dans les branches des pruniers et des
abricotiers-muscats.
- Asseyons-nous devant la grotte. Ne bouge pas.
Regarde. Tu vas voir arriver les bêtes. Il suffit
d'avoir un peu de patience.
J'entendais quelque part, invisible, caqueter les
poules. Sans doute y avait-il une basse-cour dans un
abri que je ne connaissais pas.
Nous attendions. Le temps passait. Tout à coup le
vieux me saisit le bras. Je levai la tête.
Un lézard !... Enorme, tacheté de bleu et de jaune,
long d'un mètre peut-être... Je n'en avais jamais vu
de pareil. J'eus un mouvement de recul. Le vieux
posa sa main tranquille sur mon poignet.
Le lézard était sorti d'un trou à côté de la grotte.
Arrêté, surpris peut-être par ma présence, il nous
regardait. Il avait les yeux vifs, hardis.
- C'est une "rassade", murmura M. Cyprien.
Rassurée par notre immobilité, la bête s'avança le
long d'une corniche vers nous. Arrivée à l'extrémité
de ce balcon, elle s'arrêta de nouveau et exposa son
cou vivant. On le voyait battre contre la pierre.
- C'est une bonne bête, déclara M. Cyprien.
Maintenant le lézard buvait le soleil. Le dos
écailleux ne bougeait pas, mais les flancs, toujours
si sensibles, palpitaient, comme si le sang glacé de
ce corps eût violemment afflué vers les points les
plus tendres pour y pomper toute la chaleur du
jardin.
La gorge extasiée, grande-ouverte, s'offrait
passionnément à la lumière ; les yeux d'or fixaient
le soleil et la vie parcourait en ondes rapides le
corps du monstre minéral.
- Les autres sont plus timides, me confia M. Cyprien
; mais ils ne vont pas tarder à arriver tout de
même. Tiens, voilà un limbert et une reguindoule. Il
n'y a pas plus serviable ni plus aimant...
Oui, c'était bien le paradis.
Le limbert et la reguindoule se risquèrent hors de
leur trou et, saisis par la présence du soleil,
entrèrent aussi en extase. Car le soleil paraissait
le roi de cet empire. Par nappes tièdes les hauts
calmes du ciel descendaient lentement sur le verger
et les beaux nuages fragiles suivaient ces bancs de
chaleur qui, à cette époque de l'année,
apparaissaient tout à coup vers le sud et se
tiennent très haut dans l'air..."
Henri BOSCO - L'Âne Culotte.