Petit texte :
"Comme chaque soir, le crépuscule est magnifique. Le
vent est tombé, le ciel est traversé de bandes
pourpres, violettes. L'eau du lagon est lissée, d'un
bleu éclatant, comme si la lumière venait des fonds.
Tout est si parfaitement calme ici. Il n'y a que le
grondement du ressac sur les brisants, de l'autre
côté de l'île et le vol lent des oiseaux qui se
dirigent vers les rochers, autour du Diamant. Les
pailles-en-queue ont déjà regagné leurs terriers, au
pied du sémaphore.
C'est l'heure où je vais m'asseoir à côté de
Suzanne, pendant que Jacques fait bouillir de l'eau
sur le feu de brindilles. C'est comme un rituel. Je
vais lire à haute voix les poèmes qu'elle aime, dans
le petit livre bleu foncé maculé de cendre et de
boue. C'est devenu pour moi le livre le plus
important du monde, il me semble que chaque mot,
chaque phrase, porte un sens mystérieux qui éclaire
notre vie réelle.
Quand je commence à lire, je vois son visage qui
s'éclaircit. Ses yeux brillent plus fort, il me
semble qu'elle respire plus librement. Je lis La
cité de la mer, et les mots écrits par Longfellow
le 12 mai 1881 entrent en elle, dénouent ses peines
et lavent son esprit. J'ai commencé à lire, et
j'entends Jacques qui s'approche de l'entrée, et le
mouvement léger de Pothala dans les buissons, ou
peut-être Sarah qui écoute, cachée dans les rochers,
en retenant son souffle.
The
panting City cried to the Sea
I am faint with heat – Oh, breathe on me !
And the Sea said, Lo, I breathe ! But my breath
To some will be life, to others death !
As to prometheus, bringing ease
In pain, come the Oceanides,
So to the City, hot with the flame
Of the pitiless sun, the east wind came.
It came from the heaving breast of the deep
Silent as dreams are, and sudden as sleep
Life-giving, death-giving, which will it be,
O breath of the merciful, merciless sea ?"
JMG Le Clézio - La Quarantaine