Petit texte :
"C’est justement devant une de ces croix, érigée
près de la source où se dresse aujourd’hui l’église
Saint Thibault que les Kuldés s’arrêtèrent auprès de
trois baraques et une source où les malades, venus
de loin, plongeaient leurs pattes et buvaient pour
guérir, car c’était une source guérisseuse où l’on
venait depuis le fond des temps. Cette croix était
curieusement sculptée dans un seul bloc, elle était
constituée par un disque de pierres fort épais dans
lequel on avait simplement percé quatre trous pour
dégager grossièrement une croix à quatre branches
égales, … Si on regardait mieux, on voyait que la
face de la croix avait été gravée d’entrelacs et, si
on se penchait encore plus près, on découvrait que
ces entrelacs étaient des serpents adroitement
entremêlés. Mais les gravures étaient tellement
rongées par les intempéries qu’elles étaient presque
illisibles. Jehan ne put s’empêcher de dire :
- Pas de la rosée de ce matin qu’elle est, cette
croix-là !
Les autres rirent en disant :
- Elle est encore plus vieille que ça, lapin !
Alors, le Gallo ordonna la halte pour le
casse-croûte. Il emmena Jehan près de la croix.
- C’est la croix druidique dont le prophète t’a
parlé. Elle a été sculptée avant la naissance du
Christ…
- Pas possible ? souffla Jehan. Et le maître parla :
- Voilà bien le moment de t’affranchir, et cette
croix se trouve là bien à propos. L’ensemble des
connaissances druidiques de la terre et du ciel a
déterminé un théogonie révélant à qui veux les
connaître les origines de la vie, la croyance en la
survivance de l’âme, la vie éternelle, le Dieu
unique et la rapports entre la divinité et le
magnétisme solaire, terrestre, humain, animal,
végétal et minéral. Deux figures résument en partie
cet héritage : le zodiaque et la croix druidique. Le
zodiaque ? va te faire lenlaire, je t’en parlerai en
temps voulu, peut-être quand nous passerons à
Saulieu le « lieu du Soleil ». Mais d’abord la croix
druidique. Les gens d’ici l’ayant trouvée, près de
cette source sacrée, l’ont mise sur un socle et la
saluent comme le symbole du Christ rédempteur, mais
ça vient de plus loin que ça.
Le maître venait de sortir son équerre et son
compas. Il traça dans la poussière du chemin trois
circonférences concentriques dont chacune avait un
diamètre triple du précédent :
- Le premier cercle, le plus grand, de diamètre 81,
est le cercle de Keugant, dit-il. C’est le chaos où
rien n’existe que Dieu. Bon ! c’est de Keugant que
le Dieu unique fait sortir les âmes, ces âmes
passent alors dans le second cercle qui est celui
d’Abred, de diamètre 27. C’est le cercle de la vie
terrestre, où les âmes jouent leur destinée entre le
Bien et le Mal, et alors, selon le choix qu’elles
auront fait, elles retourneront dans le premier
cercle du néant, celui de Keugant, ou bien elles
s’élèveront dans le troisième cercle de Gwenwed, de
diamètre 9, celui de l’ascension suprême auprès de
Dieu. C’est la victoire définitive sur la bestialité
et les tentations rencontrées dans Abred.
- Il traça alors deux diamètres perpendiculaires qui
formèrent une croix linéaires et parallèlement de
part et d’autre de chacun de ces diamètres, il traça
deux droites, distantes de 8,5 unités du diamètre
correspondant et détermina ainsi, une croix dont les
branches égales (il insista bien sur égales) avaient
dix-huit unités de largeur et délimitaient un carré
central de dix-huit unités de côté.
De chaque angle de ce carré pris comme centre, le
Gallo traça un cercle de 4,5 unités de rayon. Ces
quatre cercles mordant à leur base les branches de
la croix. Il se releva et dit non sans emphase :
- Et voilà la croix druidique..."
Henri VINCENOT– Les Etoiles de Compostelle.