Petit texte :
"On dit « le vide » pour simplifier.
Pourtant, ni un, ni simple, ni même vide. Mais,
somme, complexité, plénitude. Et, pour bâtir ce
vide, il en a fallu amasser l’un sur l’autre des
blocs et des blocs d’espace, des grands et des
petits, des sonores et des muets, des ardents et des
glacés. D’abord ces vides domestiqués des champs et
des clochers, puis celui des forêts frémissantes et
le vide berceur des alpages chamarrés de haberts et
de troupeaux. Et encore le vide des grands
promontoires pleins de soleil, où le vent balance
les herbes brillantes et les fleurettes. Encore
celui des roches nues et roussâtres émergeant du
chaud manteau de la terre, celui des océans de
cailloux et des moraines. Enfin les vides
étincellants de la neige, les creux et les caves où
gisent les grands monstres de la glace et du gel.
Alors, de tous ces vides superposés est né le
Vide, innombrable et bariolé, qui circule comme un
fluide autour des hauts écueils de granit, presse,
cerne, polit, contient. Le Vide, plein de marées
invisibles, de remous, de spasmes, de respirations,
si subtil que le rayon issu de la plus lointaine
étoile le transperce aisément de part en part, si
léger que tout le poids de ses espaces accumulés ne
saurait courber un brin d’herbe, mais aussi
tellement compact qu’il devient assise et
soubassements aux puissantes fortifications des
nuages, et lourd, tellement lourd, quand il
s’agrippe férocement aux reins des hommes et les
tire en arrière pour les faire choir et culbuter…"
SAMIVEL - L'Amateur d'Abîmes.