Petit texte :
"A mesure que j’en approchais il
m’arrivait un bruit de vols et de ramages. Des
milliers d’oiseaux habitaient le bois. Le soleil
déjà haut l’avait chauffé et les nids commençaient à
tiédir, cependant que les pins distillaient leur
résine amère. Quand je fus arrivé à cent mètre du
bois, tous les oiseaux se turent. Ils m’avaient vu
et j’en éprouvai une vive émotion. J’entrai
néanmoins sous le couvert des arbres. La lisière
était défendue par une impénétrable futaie de houx
épineux. Mais je découvris un couloir. A l’intérieur
s’étendaient de vastes clairières jonchées de
ramilles fléxibles. Les arbres étaient vieux et
grands et d’en haut descendait une très douce
lumière qui faisait fermenter le sol. Il sentait la
résine et le champignon. Un sentier s’enfonçait dans
le sous-bois où l’épaisseur de la végétation créait
des profondeurs plus sombres, des retraites à peu
près inaccessibles. Le silence, tombé si brusquement
des branches, à travers l’immense ramage des
oiseaux, me paraissait étrange. Parfois un pépiement
vite étouffé, un frémissement d’ailes, en décelaient
la vraie nature et la fragilité. J’avançais ravi,
dans le bois. Je jouissais de l’amère ivresse des
arbres sous les yeux attentifs de ces milliers de
bêtes, rampantes ou ailées, qui de toutes parts
m’observaient et attendaient de moi quelque signe de
haine ou d’amitié avant de reprendre leurs chants et
leurs ébats. Mais ce signe, j’avais beau en sentir
la nécessité, je n’en trouvais pas la figure ;
et pourtant j’étais seul, inoffensif, heureux ;
pour quelques instants j’avais oublié toutes mes
peines. Mais sans doutes portais-je en moi un tel
poids de misères que je ne pouvais pas en dégager ce
geste, ce mot, ce regard (ou peut-être ce simple
sentiment), qui eût aussitôt déchaîné la joie des
bêtes. Je devinais, sous moi, autour de moi, et un
peu partout sur ma tête, des milliers de petites
inquiétudes, et que, malgré mon éphémère innocence,
je n’en étais pas moins un homme. Car les bêtes sont
payées pour savoir ce qu’annonce souvent une telle
présence ; et sans doute depuis longtemps
n’avaient-elles rien vu de pareil dans ce quartier.
J’avais troublé la paix du site et violé par mon
intrusion les accords d’une antique loi de ce
refuge. Je sortis du bois, un peu attristé. Quand
j’en fus à quelque distance, je m’arrêtai pour
écouter si le chant des oiseaux avait repris. Mais
le bois gardait le silence. Alors je me mis à la
recherche d’Alibert…"
Henri BOSCO – Le Mas Théotime.