Petit texte :
"Et tous les soirs, après la buvette en commun à
la flaque du coin ou à la source du taillis, et les envols capricieux
vers l’horizon, immobiles aux quatre coins du bois, elles répondaient
à l’appel de l’ancêtre Margot, la vieille pie
de la forêt qui les conviaient à se rassembler dans le
chêne ou le foyard qu’elle avait soigneusement choisi pour
la nuit, selon la lune, le temps, les vents ou autres accidents secondaires,
et que son instinct de bête, augmenté de sa prévoyance
d’aïeule, lui avait fait élire entre tous.
Elles se reconnaissaient à petits cris joyeux, étouffés,
presque attendris, sautant de branche en branche, hésitantes,
capricieuses, se querellant doucement pour une place qu’elles
ne désiraient pas, se bousculant, animant l’arbre tout
entier dont les rameaux, les feuilles, s’agitaient de leur mouvement
perpétuel et qui semblait exhaler la joie de receler toute cette
vie fourmillante et heureuse.
Puis, petit à petit, au fur et à mesure que s’enfonçait
le soleil, que diminuait la lumière et que planait sur elles
le mystère de la nuit et le danger d’attaques nocturnes,
la rumeur s’assourdissait, se ponctuait de silences que ne troublaient
bientôt plus que de légers cris tombant çà
et là de branche en branche comme un bonsoir tardif ou un appel
au sommeil.
Des jours heureux avaient passé sous le soleil ; des jours de
bavardage et de goinfrerie, dans les palais verts compliqués
et changeant des taillis, dans les pavillons clairs, soleilleux de la
coupe, à côté des geais lourdauds, des merles dégagés
et vifs, des corbeaux cyniques et monotones et des grives méprisantes
ou peureuses.
Elle connaissait les arbres hospitaliers, les ravins abrités,
les sources fraîches, les oiseaux amis, les rivaux et les ennemis.
Elle avait été très surprise de voir des matins
entiers les geais passer sur sa forêt, s’abattant tous comme
pour une pause prévue, une halte immuable, à un même
grand chêne aux branches sèches, comme au point de repère
d’une étape définie. Elle avait d’abord suivi
les premiers, puis, voyant qu’ils dépassaient la forêt
et s’enfonçaient vers le Midi en longue chaîne grise,
les avait abandonnés pour revenir à son point de départ,
et huit jours entiers, amusée et curieuse, elle avait escorté,
durant leur passage par son domaine, leur monotone et long défilé.
Où pouvaient-ils aller ainsi ? Quel ennemi puissant, quel rapace
à l’appétit fantastique les chassait de la forêt
natale en même temps que les cohortes silencieuses des ramiers
et ces nuages gris de sansonnets, sur les chaumes herbeux ou sur des
labours fraîchement retournés ? Elle suivait leur manège
avec étonnement, attentive au moindre spectacle nouveau, au moindre
cri inconnu.
La
curiosité était le défaut de Margot, le péché
mignon de toutes ses sœurs agaces, qu’elle voyait, comme
elle, accourir au premier signal étranger à leur vie."
De
Goupil à Margot - Louis PERGAUD